Verdict le 13 mai, pour savoir si la cour d’appel de Rennes confirme le non-lieu dans l’affaire du Bugaled Breizh, après l’audience de ce mardi 3 mars. Les avocats des parties civiles ont plaidé pour que soit réaffirmée l’implication d’un sous-marin, établie puis remise en cause par les tribunaux. Pour l’avocat général, deux thèses restent ouvertes, sans aucune chance d’établir un jour la vérité.
Annoncée à huis-clos et ouverte au public au dernier instant, l’audience, de plus de cinq heures, était très orientée sur les expertises techniques. Le président de la chambre d’instruction a rappelé les éléments du dossier : circonstances du naufrage du chalutier le 15 janvier 2004, qui a fait 5 victimes ; vidéos sous-marines et fausse piste de l’abordage par un cargo ; renflouement révélant l’implosion de la cale ; et surtout les expertises et simulations menées. Notamment le rapport du BEAmer, qui envisageait une croche molle, thèse que les experts de l’Ifremer, Jean-Paul George et François Théret, ont ensuite démontée.
Ils concluaient à l’intervention d’une force exogène dans la partie haute du câble ayant entraîné le navire vers le fond rapidement, n’imaginant pas d’autre explication que celle d’un sous-marin. Tandis que Jean-Daniel Troyat, de la Marine nationale, listait plusieurs hypothèses dont celles du sous-marin et de l’incident de pêche devenu catastrophique par un enchaînement de facteurs défavorables. Enfin, l’expert Dominique Salles, ancien sous-marinier, estimait « hautement probable » l’implication d’un sous-marin dans le naufrage, orientant vers un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA).
Sur ces bases, les juges d’instruction de Quimper avaient conclu en juillet 2008 qu’il était probable qu’un sous-marin soit impliqué, mais illusoire de poursuivre l’instruction. Relancée par la cour d’appel de Rennes en 2009, elle avait conduit Dominique Salles à supposer qu’un sous-marin américain ait pu être présent lors du naufrage, en préparation de la surveillance d’un transport de déchets nucléaires. Mais dans le non-lieu rendu par le tribunal de Nantes, l’implication d’un sous-marin était remise en cause.
Ce « retour en arrière » choque les avocats des parties civiles, unanimes à réclamer que soit réaffirmée cette implication. Ainsi, ils se sont employés à l’audience à remettre en cause le contenu et la légitimité du rapport du BEAmer et à revenir sur les conclusions des divers experts. Mais si les trois avocats sont unanimes sur ce point, en revanche ils diffèrent dans leurs demandes d’investigation.
Dominique Tricaud, qui représente notamment Thierry Lemétayer, souhaite l’audition de marins du Turbulent, le SNA anglais qu’il estime coupable et dont la présence à quai ou en mer le jour du naufrage est ambiguë. Il veut aussi l’audition de marins du Rubis, bâtiment français qui, selon des témoins anonymes, était alors, non pas dans le golfe de Gascogne, mais en exercice en Manche avec un sous-marin anglais, exercice interrompu suite à un bruit.
Il réclame aussi l’explication du commandant du Rubis sur la mention dans son livre de bord de mener « une veille pêcheurs attentive » suite au naufrage, jugée rare et incohérente avec sa position officielle. Et encore une audition, celle du commandant du Torbay, qui a dit que le Turbulent était en mer le 15 janvier 2004. Enfin, il demande les enregistrements sonores des Turbulent et Rubis le jour du naufrage.
L’avocat Michel Kermarrec, qui représente l’armateur Michel Douce et plusieurs familles de victimes, a dénoncé une procédure pleine de « frustrations et d’humiliations ». Il a saisi le tribunal de grande instance (TGI) de Paris d´une action en responsabilité contre la chambre d´instruction de Rennes, et demandé le renvoi du dossier devant une autre juridiction, estimant qu’elle avait commis une faute lourde en rejetant la demande d’investigation supplémentaire concernant les radeaux.
Il a ainsi longuement appuyé que deux radeaux avaient été trouvés sur place (en plus de celui resté sur l´épave), l’un rouge, coulé par les gardes-côtes britanniques, l’autre orange, appartenant au Bugaled Breizh et récupéré par L’Hermine, et qu’il ne pouvait s’agir du même. C’est un « maillon » d’une chaîne de faits qu’il estime essentiel pour montrer qu’un hélicoptère d’une marine est intervenu avant les secours, voire a été témoin du drame. « On ne peut pas accepter que cette voie reste fermée. »
Enfin, Christian Bergot, qui représente des familles de victimes et le comité des pêches, a confié que ces derniers étaient « partagés entre la volonté de connaître la vérité, et la lassitude au bout de plus de onze ans de procédures ». Ils ne souhaitent plus revenir sur les pistes qui ont été fermées et demandent ainsi à suivre la « seule piste sérieuse ouverte au vu des éléments du dossier, l’éventualité de l’implication d’un sous-marin américain. Qu’on aille au bout du bout ».
Il demande ainsi la poursuite d’investigations vers les États-Unis, critiquant la précédente commission rogatoire en ce sens. Il conseille aussi d’entendre Dominique Salles avant de statuer, et de confier le dossier au pôle d’instruction de Brest.
Concluant l’audience, l’avocat général Pascal Bougy, représentant le ministère public, a demandé à la chambre d’instruction de rejeter ces demandes et de confirmer le non-lieu. « À mon sens, il y a toujours deux hypothèses crédibles en présence, l’accident de mer et le sous-marin », a-t-il observé. Surtout, pour lui, les investigations demandées ne sont pas utiles : « On pourra peut-être lever des contradictions entre témoignages, mais toutes les investigations sont vouées à l’échec, on n’a aucune chance d’établir la vérité dans ce dossier. Je le regrette, mais il faut avoir le courage de le dire : espérer identifier un jour un sous-marin et amener son commandant devant un tribunal, c’est un peu courir après une chimère. »
Ces paroles finales ont bien entendu touché les parties civiles, mais ne préjugent pas de la décision de la chambre d´instruction de Rennes, qui a remis le délibéré au 13 mai.
A l’extérieur, place du Parlement à Rennes devant la cour d’appel, une cinquantaine de personnes étaient présentes, la plupart venues par le car que l’association SOS Bugaled Breizh avait mis à leur disposition, au départ de Pont L’abbé. Ils étaient munis d’une banderole : « Yves, Georges, Pascal, Patrick, Eric, on ne vous oublie pas ! »